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Relativité des Quantas

Une méditation harmonique sur l’incomplétude fondamentale de nos théories

La relativité générale et la mécanique quantique sont les deux cathédrales de la physique moderne, mais elles chantent dans des tonalités incompatibles. L’une décrit un espace-temps lisse, courbé par la masse, où le temps s’écoule selon une géométrie continue ; l’autre révèle un monde granulaire, probabiliste, où l’énergie n’existe que par paquets discrets et où la réalité n’émerge qu’au moment de l’observation. Entre elles, il n’y a toujours pas de pont. La « relativité des quantas » n’est donc pas encore une théorie : c’est le nom poétique que l’on peut donner au vide béant que nous essayons de combler depuis un siècle.

Curieusement, la théorie musicale occidentale a déjà vécu une crise presque identique et l’a résolue – imparfaitement, mais magnifiquement – par le tempérament égal. Pendant des millénaires, les musiciens ont bâti leurs gammes sur des tétracordes (quatre notes couvrant une quarte juste) empilés selon des rapports de fréquences purs : 9/8, 10/9, 16/15… Ces rapports produisaient une harmonie d’une pureté quasiment surnaturelle dans certaines tonalités, mais rendaient les autres pratiquement injouables. La « dominante tonique » – cette attraction irrésistible vers la tonique – était plus forte dans les tonalités riches en quintes justes, plus faible ailleurs. L’univers musical était donc relatif : la même intervalle (par exemple la tierce Do-Mi) sonnait « consonante » en Do majeur qu’en Fa dièse majeur.

Puis vint le tempérament égal : on accepta de légèrement désaccorder tous les intervalles pour que toutes les tonalités deviennent également possibles. On sacrifia la pureté absolue au profit d’une relativité parfaite. Le prix ? Une comma syntonique (81/80) dispersée partout, un léger « flou quantique » que l’oreille accepte parce qu’il permet la modulation infinie. Bach célèbre cette révolution dans Le Clavier bien tempéré : vingt-quatre préludes et fugues dans toutes les tonalités, prouvant que l’univers musical peut être de même quantifié (12 demi-tons égaux) et parfaitement relatif.

Or c’est exactement le genre de compromis que nous cherchons en physique : une « quantification de la géométrie » ou une « relativisation du quantum » qui rendrait toutes les échelles d’énergie et toutes les configurations d’espace-temps pareillement accessibles, au prix d’une petite imprécision fondamentale distribuée partout.

Dans cette analogie, les tétracordes purs ressemblent à interactions locales décrites par la théorie quantique des champs en espace plat : parfaites, mais valables seulement dans un « cadre tonal » limité. La gravitation, elle, agit comme la force tonale : elle attire irrésistiblement vers certaines configurations (les orbites, les trous noirs, l’expansion cosmique), réellement comme la dominante attire vers la tonique. Le chromatisme enharmonique (Do = Si♯) préfigure l’équivalence entre descriptions apparemment différentes d’un même état quantique (représentation position vs. représentation impulsion, ou dualité particule-onde). L’oreille ne fait presque plus la différence, mais les battements résiduels (dans les tempéraments inégaux) ou les très faibles différences de fréquence rappellent qu’il y a eu un choix, une brisure de symétrie.

La grande différence, bien sûr, c’est que la musique a accepté l’incomplétude. Elle a déclaré : « Nous ne jouerons jamais la quinte juste et la tierce juste simultanément dans toutes les tonalités ; nous vivrons avec cette tension. » La physique, elle, refuse encore cette humilité. Nous continuons de chercher la gamme absolue, le tempérament divin qui rendrait tout parfaitement consonant sans aucun sacrifice.

Peut-être que la solution finale ressemblera au tempérament égal : une discrétisation minimale de l’espace-temps (longueur de Planck, boucle quantique, gravité quantique à boucles, théorie des cordes…) qui introduit un très léger « flou harmonique » partout, mais permet enfin de moduler librement entre l’échelle quantique et l’échelle cosmologique sans que l’harmonie s’effondre.

Alors la « relativité des quantas » ne serait pas une théorie qui renverse la mécanique quantique ou la relativité générale, mais une musique plus vaste dans laquelle ces deux cathédrales ne sont que deux modes – mineur et majeur – d’une même symphonie inachevée.

Et, nous, pauvres mortels, nous apprenons lentement à jouer dans toutes les tonalités, même celles qui nous font mal aux oreilles, parce que l’univers entier mérite d’être chanté.


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